Immunité innée et grossesse
La grossesse est un processus immunologique actif et hautement régulé : pendant 9 mois, l'organisme de la mère doit porter un foetus dont la moitié du capital génétique est celui de son père. C'est un état de greffe semi-allogénique. Il devrait donc être reconnu comme un corps étranger par le système immunitaire maternel, or il n'en n'est rien : de nombreux changements s'opèrent afin qu'il puisse tolérer le foetus, et que celui-ci soit protégé pendant les 9 mois de gestation.
Le placenta et le système immunitaire maternel sont étroitement liés, afin de mettre en place un environnement tolérant pour l'enfant à naître. Le pivot de tous ces changements est le trophoblaste*, qui est la principale cellule constituant le placenta.
C'est le système immunitaire inné qui est en première ligne : les cellules Natural Killer
(NK), les macrophages, et les cellules dendritiques.
L'interface fœto-maternelle
L'interface fœto-maternelle (IFM) est le site de contact entre la muqueuse utérine (appelée décidua pendant la grossesse) et les tissus extra-embryonnaires du complexe foeto-placentaire. Elle peut aussi être appelée l'interface materno-placentaire
(IMP), selon les auteurs, comme par exemple Shawn L. Straszewski-Chavez et al., qui rappellent que ce sont les cellules placentaires, et non fœtales, qui interagissent avec le système immunitaire maternel (Straszewski-Chavez et al, 2005).
Cette interface va apparaitre au moment de l'implantation de l'embryon dans l'endomètre. Cette dernière comporte 3 phases (Straszewski-Chavez et al, 2005) :
- l'apposition du blastocyste*, qui correspond à l'interaction entre le blastocyste et les cellules épithéliales de l'endomètre en préparation pour l'implantation
- l'adhésion à la paroi endométriale,
- l'invasion de l'endomètre, qui va alors porter le nom de décidua.
Le phénomène de décidualisation, qui correspond à de nombreux changements structuraux de l'endomètre, va alors être mis en place. Il est en partie initié par l'augmentation du taux de progestérone au niveau de l'interface fœto-maternelle
(Brown et al., 2014).
Toutes les étapes de l'implantation sont orchestrées par des phénomènes d'apoptose* des cellules environnantes (cellules endométriales, endothéliales, ...) qui sont cruciaux pour la bonne mise en place d'un environnement tolérant pour le foetus, et propice à la nidation (Straszewski-Chavez et al, 2005).
L'interface foeto-maternelle est constituée de 2 parties distinctes (Brown et al., 014) : la partie placentaire (foetale) et la partie endométriale/déciduale et myométriale (maternelle).
Les tissus déciduaux (tissus maternels en contact avec l'unité foetoplacentaire) ont un important rôle nutritionel et endocrine pendant la grossesse. Ils produisent des cytokines*, aident à l'implantation et à la croissance embryonnaire et
Fœtale, et participent au maintien de la grossesse (Leno-Durán et al., 2014).
La partie placentaire, quant à elle, est constituée d'un contingent cellulaire qui est au coeur de tous les échanges et interactions au niveau de l'interface foetomaternelle
: les trophoblastes*.
a) Les Trophoblastes
Ce sont les cellules de l'unité foeto-placentaire en formation. De part leur importante production de cytokines et chémokines, ils sont en quelque sorte le "chef d'orchestre" de la mise en place de la tolérance immunitaire. Il faut différencier les trophoblastes villeux et extravilleux.
Les trophoblastes villeux sont ceux qui consituent le cytotrophoblaste (CTB)*, pool de cellules mononucléées, qui prolifèrent continuellement pour former le
syncitiotrophoblaste*, pool cellulaire polynucléé, qui est en contact direct avec la circulation maternelle. Les trophoblastes extravilleux (EVT) sont une population cellulaire spécifique, avec une capacité d'invasion de la décidua et de remodelage des artères utérines, afin d'assurer au foetus un apport adéquat en sang (Straszewski-
Chavez et al, 2005).
L'EVT (différentié depuis le CTB migrant) est donc un pool de cellules invasives qui va jouer un rôle régulateur clé dans l'angiogénese* de par sa modulation de l'expression des protéines vasoactives dans les cellules déciduales adjacentes. En effet, ces cellules expriment de grandes quantités de Vascular-Endothelial Growth
Factor (VEGF)* et Placenta Growth Factor (PlGF)* en début grossesse (Barrientos et al., 2009).
L'angiogénèse consiste en la transformation des artères spiralées de la décidua en vaisseaux de haute capacité et de basse résistance, afin d'augmenter l'apport sanguin au foetus. Pour cela, les trophoblastes vont envahir l'endothélium et remplacent les cellules endothéliales et musculaires lisses. Ce phénomène se déroule en 2 phases :
- phase 1 : interruption de la continuité du muscle lisse périvasculaire et de l'endothélium par un phénomène d'apoptose partielle de ces 2 composants, et avec une accumulation simultannée de macrophages et de cellules NK déciduales autour des vaisseaux.
- phase 2 : migration des trophoblastes extravilleux dans la lumière des vaisseaux, qui vont venir combler les pertes en cellules endothéliales et musculaires.
Le sang circule alors autour des villosités placentaires et permet le début des échanges entre la mère et le foetus (Erlebacher, 2013).
Les tissus placentaires expriment ainsi de nombreuses cytokines et chémokines qui vont induire la production de macrophages homéostatiques, et de lymphocytes T régulateurs. Les principales molécules induisant ces phénotypes sont l'IL*-10 et le M-CSF*, produites par les trophoblastes. Ces derniers jouent donc un rôle majeur dans la création d'un environnement homéostatique et tolérant pour le foetus(Svensson-Arvelund et al., 2015).
A noter la présence de récepteur Toll-Like (TLR)* sur les trophoblastes : ils détectent les antigènes étrangers, et modulent le recrutement des monocytes et leur production de cytokines (Schminkey and Groer, 2014 ; Young et al., 2014).
b) Le complexe HLA-G
Les trophoblastes expriment une molécule de la famille des Human Leucocytes
Antigen * (HLA) classe I non classique : l'HLA-G (Shakhawat et al., 2010). Elle intéragit entre autres avec les macrophages et les cellules NK.
La molécule HLA-G est appelée non classique à cause de sa distribution tissulaire limitée et de son expression sélective sur les cellules trophoblastiques à l'IFM
(Shakhawat et al., 2010). Les molécules HLA hautement polymorphiques (HLA-A et
HLA-B entre autres) ne sont, quant à elles, pas exprimés sur les trophoblastes.
L'HLA-G est impliquée dans le développement embryonnaire et le maintien de la grossesse, et ce en inhibant la réponse immunitaire cytotoxique maternelle. Le fœtus échappe ainsi à la reconnaissance comme élément du Non-Soi par le système immunitaire maternel (Hanssens et al., 2012). On peut par exemple citer le rôle inhibiteur d'HLA-G sur la migration, la prolifération et la production d'interféron* gamma (IFNγ) par les cellules NK, sa participation à l'induction des cellules T régulatrices (définies plus bas), et son effet sur la réduction de la prolifération des lymphocytes T CD4 et CD8, ce qui va entrainer la diminution directe de la réponse immunitaire par les cellules T (Hanssens et al., 2012). La molécule HLA-G module aussi la production de cytokines : elle augmente la production des cytokines antiinflammatoires et diminue celle des cytokines pro-inflammatoires.
La molécule HLA-G participe donc directement et indirectement à la tolérance immunitaire : elle est impliquée dans le processus de vascularisation et d'augmentation du volume sanguin apporté au foetus, dans le phénomène d'invasion trophoblastique des artères spiralées, et dans le maintien de l'immunosuppression à l'interface foeto-maternelle.
2. Le système immunitaire inné
Il est maintenant avéré que le système immunitaire inné joue un rôle primordial dans la réussite de la reproduction. Son rôle premier est un rôle de défense de l'organisme face aux infections, auquel s'ajoute, pendant la grossesse, un rôle transitoire de maintien de la tolérance à l'interface foeto-maternelle. Il existe par ailleurs une hypothèse de similitude de la mise en jeu du système immunitaire inné pendant la grossesse avec la physiologie de la réponse au stress (Schminkey et
Groer, 2014).
En effet, à l'accouchement, un processus inflammatoire se met en place, et va mimer la physiologie d'une réaction de réponse au stress. L'utérus, les membranes
foetales et le liquide amniotique sont alors envahis par des cytokines proinflammatoires, et de nombreuses cytokines et chémokines pro-inflammatoires sont
sur-exprimées dans les tissus utérins à l'approche du travail (Schminkey et Groer,
2014).
Les trois principales cellules de l'imunité innée mise en jeu lors de la grossesse sont les cellules Natural Killer, les macrophages, et les cellules dendritiques.
Les cellules Natural Killer (NK)
Ce sont les cellules de l'immunité les plus abondantes à l'IFM : elles représentent environ 70% des lymphocytes déciduaux (Yagel, 2009 ; Erlebacher,
2013). Elles sont présentes dans l'endomètre avant l'implantation, mais sont aussi recrutées depuis le sang périphérique, par la sécrétion de chémokines et de leur récepteurs par les trophoblastes (Erlebacher, 2013). Une fois dans l'endomètre, elles vont adapter leur sécrétion de chémokines grâce au microenvironnement de l'endomètre pré-implantatoire (mis en place par les trophoblastes et les cellules déciduales stromales*) pour devenir des cellules NK déciduales (dNK) (Du et al.,
2014).
Les nombreuses cellules NK recrutées au départ ne contiennent pas de granules cytotoxiques, et vont maturer grâce à l'action combinée de la progestérone et de l'IL15, pour devenir des cellules NK utérines granuleuses (Barrientos et al., 2009).
Ces cellules ont, à la base, des capacités cytotoxiques innées : elles induisent directement la mort des cellules infectées (Houser, 2012).
Il existe 2 populations dans le sang périphérique : les cellules NK
CD56dimCD16+ (90-95% des cellules NK, elles sont cytotoxiques) et les cellules NK
CD56brightCD16- (5%).
Et dans l'utérus, on distingue également 2 types de cellules NK : les endométriales et les déciduales (Yagel, 2009). Les cellules NK déciduales représentent donc 70% des lymphocytes déciduaux, et elles expriment le phénotype
CD56brightCD16- (Yagel, 2009 ; Shigeru et al., 2008). Elles ont diverses origines
(Houser, 2012) : distante (cellules provenant d'autres organes comme la moëlle épinière) ou locale (prolifération et conversion de cellules NK endométriales sous l'influence de TGF*β). Elles vont proliférer jusqu'à la fin du 1er trimestre, puis diminuer en nombre (Leno-Durán et al., 2014).
Cytotoxicité des cellules NK déciduales (Yagel, 2009) :
Elles sont parfaitement équipées pour combattre une infection. Elles contiennent de la perforine dans leurs granules (qui, libérées, vont lyser les cellules cibles), et expriment des récepteurs qui reconnaissent les signaux de stress. Elles sont activées lorsqu'elles sont confrontées à un signal cytotoxique.
Leur cytotoxicité globale est réduite : elles sont peu cytotoxiques vis-à-vis des trophoblastes, qui mettent en place plusieurs stratégies pour se protéger. Ceci entraîne des anomalies fonctionelles des cellules NK, comme une incapacité à former des synapses avec leur cible, ou un blocage de la dégranulation de perforine. En plus de cela, les cellules stromales déciduales vont secréter des substances inhibitrices de la cytotoxicité ces cellules NK (TGFβ et VEGF) (Hanssens et al., 2012).
Il existe aussi, à leur surface, des récepteurs qui activent ou inhibent leur réponse cytotoxique (Houser, 2012). Plus les récepteurs inhibiteurs sont nombreux, plus la cellule NK permettra la reconnaissance des molécules du Non-Soi, et la disparition des cellules étrangères. Alors que trop peu de récepteurs inhibiteurs entrainera une forte mobilisation des cellules NK en réponse à une infection.
Instauration de l'immunosurveillance :
Les trophoblastes se protègent de la cytotoxicité NK par l'expression à leur surface de molécules du complexe HLA : HLA-C, HLA-E et HLA-G. En effet, HLA-G inhibe l'activité cytotoxique des cellules NK en se liant à leurs récepteurs inhibiteurs.
La molécule HLA-E, elle, stabilise l'expression HLA-G et facilite son intéraction avec les récepteurs des cellules NK.
L'expression des complexes HLA non classiques, et la sécrétion de molécules suppressives par les trophoblastes permettent de supprimer localement la réponse immunitaire et d'éviter un rejet du foetus (Yagel, 2009).
Participation à l'angiogénèse, à l'invasion trophoblastique et au remodelage vasculaire :
Les cellules NK déciduales (dNK) secrètent des chémokines qui vont permettre l'attraction des trophoblastes au niveau des artères spiralées utérines, où ils vont pouvoir envahir les vaisseaux et participer à leur remodelage.
Ils produisent également des facteurs angiogéniques et vasculogéniques
(VEGF et PlGF, angiopoietin 1 et 2), et participent donc à l'angiogénèse des vaisseaux maternels et à la vasculogénèse* des vaisseaux foetaux. Mais ils ont également l'effet inverse, et peuvent inhiber l'invasion trophoblastique (Yagel, 2009).
Ils sont donc étroitement associés avec les vaisseaux endothéliaux, et sont source de cytokines et de médiateurs vasoactifs induisant le remodelage vasculaire décidual et placentaire (dissociation des cellules musculaires lisses des artères spiralées sous l'effet des cellules NK) (Hanssens et al., 2012 ; Barrientos et al., 2009).
Ils sont enfin étroitement associés aux trophoblastes, par la production de
chémokines qui vont attirer les trophoblastes à proximité des artères spiralées
(Erlebacher, 2013).
L'existence de cellules NK régulatrices (Shigeru et al., 2008) :
Différents profils de cytokines vont définir plusieurs types de cellules NK :
- les cellules NK1, qui sont les cellules NK du sang périphérique d'une femme non enceinte
- les cellules Nkr1, qui sont les cellules NK du sang périphérique d'une femme en début de grossesse
- les cellules NK3, qui sont les cellules NK dans la décidua d'une femme en début de grossesse.
Il existe 2 hypothèses quant à leur origine : elles proviennent soit d'un précurseur hématopoiétique distinct, soit de la maturation de cellules NK du sang périphérique sous l'effet du microenvironnement décidual.
Les cellules NK sont donc des cellules à caractère transitoire pendant la grossesse. Elles jouent un rôle crucial dans la tolérance immunitaire : elles participent à l'angiogénèse placentaire, instaurent une immunosurveillance à l'interface foetomaternelle, et leur cytotoxicité réduite leur permet de détecter et combattre une infection sans risque pour le développement de l'enfant à naître.
Les Macrophages
Ces sont les cellules immunitaires les plus abondantes à l'IFM après les cellules NK ; elles représentent 20% des cellules immunitaires présentes dans la
décidua (Erlebacher, 2013).
Ils participent à la mise en place de la tolérance immunitaire, et au remodelage tissulaire au niveau de l'IFM. Ils ont également un rôle dans la reconnaissance et l'élimination des agents infectieux, dans l'adaptation de la réponse inflammatoire à une agression placentaire, et enfin dans l'élimination des cellules apoptotiques (Svensson-
Arvelund et Ernerudh, 2015 ; Erlebacher, 2013).
Leurs origines sont diverses : ce sont soit des macrophages endométriaux qui se différencient et prolifèrent, soit des macrophages recrutés dans le sang périphérique et qui vont maturer dans la décidua sous contrôle du microenvironnement local (Svensson-Arvelund et Ernerudh, 2015).
Le recrutement, la prolifération et la différentiation en macrophages déciduaux se fait grâce à des molécules secrétées par les cellules stromales, les cellules NK, et les trophoblastes (Hanssens et al., 2012).
Ce sont des cellules d'une grande plasticité, qui vont se polariser différement selon le microenvironnement (Svensson-Arvelund et Ernerudh, 2015 ; Houser, 2012 ;
Shakhawat et al., 2010).
Cette polarisation peut être de 2 types (Brown et al., 2014) :
- la polarisation M1 : les macrophages présentent les antigènes aux cellules T naïves, produisent des cytokines pro-inflammatoires (IL-12, IL-23, ...), et dirigent la réponse T vers un type Th1 pro-inflammatoire (réponse adaptative à médiation cellulaire). Les stimuli externes de type pro-inflammatoire (agonistes des TLR, IFNγ,
TNF*α, GM-CSF*, ...) sont responsables de cette polarisation.
- La polarisation M2 : les macrophages participent au remodelage tissulaire, ont des qualités immunosuppressives, et la réponse T est dirigée vers une réponse de type Th2 (réponse immunitaire adaptative à médiation humorale). Des stimuli externes de type anti-inflammatoire (IL-4, IL-10, IL-13, IL-33, TGFβ, G-CSF*, ...) induisent l'apparition de ce phénotype. Contrairement aux cellules M1, les agonistes M2 induisent la différentiation de plusieurs sous-types de macrophages M2 (Brown et al.,
2014 ; Svensson-Arvelund et Ernerudh, 2015) :
- M2a : induit par l'IL-4, l'IL-13 et l'IL-33, avec un phénotype impliqué dans les allergies et l'éilimination des parasites
- M2b : induit par les complexes immuns et les lipopolysaccharides, avec un phénotype induisant une réponse Th2 humorale, et la production de cytokinespro et anti-inflammatoires
- M2c : induit par de nombreux agents anti-inflammatoires, avec unmprofil particulier produisant de l'IL-10, du TGFβ, et des composants de la matrice extracellulaire, et promouvant l'homéostasie et le remodelage tissulaire.
Les macrophages M2 et leurs sous-types M2a et M2c sont les phénotypes prédominants pendant la grossesse, avec une plus petite population de macrophages
M1 ou M2b.
Tolérance et activité immunomodulatoire des macrophages :
Les macrophages ont une activité immunosuppressive par la production de molécules anti-inflammatoires, commes l'IL-10 ou les prostaglandines E2. Ils ont également une activité enzymatique du type indoléamine 2,3-dioxygénase (IDO)*, promotrice de tolérance, qui va inhiber l'activation des lymphocytes T et la cytotoxicité des cellules NK (Hanssens et al., 2012).
Ils participent de plus à la mise en place de l'homéostasie à l'interface foetomaternelle, en créant une partie de l'environnement homéostatique global, en régulant la réponse inflammatoire et en maintenant l'environnement tolérogène (Svensson-
Arvelund et Ernerudh, 2015).
Remodelage tissulaire et développement placentaire :
Les macrophages participent à l'angiogénèse et aux phénomènes de remodelage tissulaire. En effet, il y a une accumulation de macrophages et de cellules
NK autour des vaisseaux au moment de l'implantation : les macrophages vont alors produire des métalloprotéases qui vont dégrader la matrice extracellulaire. Cette action est précurseur à l'invasion des artères dégradées par les trophoblastes. On a donc un remodelage des artères spiralées grâce au remplacement des cellules endothéliales et musculaires lisses apoptotiques par des trophoblastes extravilleux.
Les macrophages et les cellules NK sont là pour "préparer le terrain" et initier l'interruption de la continuité des cellules musculaires lisses et endothéliales dont ont besoin les trophoblastes pour envahir les vaisseaux (Brown et al., 2014).
Les macrophages secrètent ainsi de nombreuses substances proangiogéniques (de la famille du VEGF) et anti-angiogéniques (Hanssens et al., 2012), ainsi que des substances de remodelage de la matrice extracellulaire (Svensson-
Arvelund et Ernerudh, 2015).
Ils ont de plus un pouvoir de phagocytose des débris cellulaires issus de l'apoptose (cellules trophoblastiques, endothéliales, musculaires lisses,)(Shakhawat et al., 2010). Les macrophages phagocytent aussi des débris cellulaires potentiellement pro-inflammatoires, ce qui permet le contrôle d'une éventuelle inflammation, et la sécurité du foetus (Brown et al., 2014).
Protection du foetus contre les infections :
L'induction de l'inflammation locale est entre autres sous le contrôle des macrophages : ils augmentent simultannément le taux de cytokines pro et antiinflammatoires, ce qui va leur permettre, à terme, de phagocyter l'agent pathogène sans mettre en danger le foetus (Svensson-Arvelund et Ernerudh, 2015).
Production de cytokines, chémokines et facteurs de croissance :
Il existe un phénomène d'inflammation transitoire de la décidua au tout début de la grossesse, pour permettre l'implantation, puis, lors de la phase de croissance
foeto-placentaire, l'environnement devient immunosuppresseur.
Les gènes codant pour le phénotype anti-inflammatoire M2 sont surexprimés alors que ceux codant pour phénotype pro-inflammatoire M1 (exprimés au moment de l'implantation) sont devenus silencieux. Les macrophages déciduaux vont donc avoir un profil cytokinique anti-inflammatoire durant toute cette période (voie de l'IDO,
secrétion d'IL-10, ...)
A l'accouchement, on observe une nouvelle augmentation de l'expression de cytokines pro-inflammatoires (IL-1β, IL-6, IL-8, ...), ainsi que l'accumulation de leucocytes dans le col, la décidua et le myomètre (Brown et al., 2014). Il y a donc de nouveau un contexte d'inflammation et un influx important de macrophages dans le myomètre et la décidua, afin de déclancher le travail.
Enfin, la produiction de cytokines et de chémokines des macrophages leur permet d'intéragir avec les cellules NK (Houser, 2012) et de diminuer leurs propriétés cytotoxiques (Svensson-Arvelund et Ernerudh, 2015). Les macrophages déciduaux sont donc de potentiels médiateurs et régulateurs des cellules NK (Houser, 2012).
Les macrophages sont donc elles aussi des cellules immunitaires transtoires aux rôles multiples. Elles participent à la mise en place de la tolérance immunitaire, au remodelage tissulaire et au développement placentaire, tout en protégeant le fœtus contre les infections.
Les cellules dendritiques (DC)
Les cellules dendritiques sont les sentinelles de la réponse immunitaire adaptative, elles sont rares à l'IFM (Erlebacher, 2013). Ce sont des cellules présentatrices d'antigène : suite à leur exposition à un pathogène, elles vont migrer dans les ganglions lymphatiques afin de présenter l'antigène présent à leur surface aux cellules T naïves. Cela va entrainer l'activation, l'expansion et la polarisation des cellules T (Erlebacher, 2013).
Les cellules dentritiques (DC) peuvent être myéloïdes ou plasmacytoïdes dans le sang périphérique. Les DC myéloïdes périphériques jouent un rôle dans la mise en place de la tolérance pendant la grossesse en activant les lymphocytes T régulateurs (par la secrétion d'IDO), qui produiront de l'IL-10 et du TGFβ (Leno-Durán et al., 2014).
Les lymphocytes T régulateurs sont des cellules à fonction immunosuppressive, qui participent au maintien de la tolérance spécifique vis-à-vis des autoantigènes, et de la tolérance vis-à-vis des alloantigènes. Elles représentent 20% cellules T dans la
décidua, et expriment le récepteur de surface Foxp3+. Leur nombre augmente dès le début de la grossesse, et atteint son maximum au 2ème trimestre, puis diminue progressivement ensuite (Hanssens et al., 2012). Ils sont aussi induits par les macrophages déciduaux (qui ont aussi un rôle dans leur prolifération, avec la sécretion d'IDO ou de TGFβ) et par les trophoblastes (Svensson-Arvelund et al., 2015).
Il existe 2 types de DC myéloïdes au 1er trimestre : les DC myéloïdes de type I et de type II. Ces dernières sont induites par la secrétion d'IL-10, et ne reconnaissent pas les antigènes foetaux sur les trophoblastes, d'où une augmentation du climat tolérogène.
Les cellules dendritiques sont retenues dans l'endomètre à un stade immature : la décidualisation est associée à une augmentation des DC immatures (iDC) et à une diminution des DC matures.
Le danger réside dans le contact avec un antigène foetal : il y aurait alors transformation des iDC en DC matures, qui migreraient secondairement dans les organes lymphatiques pour présenter l'antigène aux cellules T, et activer une réponse adaptative* (Leno-Durán et al., 2014).
Cette immaturité est maintenue grâce aux trophoblastes, à la progestérone, et à des molécules produites par les cellules déciduales (Hanssens et al., 2012).
Les cellules dendritiques immatures (iDC) sont des cellules tolérogènes, qui peuvent être générées en absence de stimuli, ou sous l'effet d'un mileu antiinflammatoire
(IL-10, progesterone, HCG, estradiol, ...). Elles vont par la suite produire des cytokines anti-inflammatoires et développer un phénotype inhibiteur, qui va prévenir l'activation des cellules T. Certaines DC produisent de l'IL-10, et participent donc à l'établissement de la tolérance et au maintien de la grossesse (Leno-Durán et al., 2014). Mais elles peuvent aussi exprimer des récepteurs Toll-Like (TLR) et participer à l'élaboration du milieu pro-inflammatoire nécessaire à la mise en place de la grossesse (Young et al., 2014).
De plus, les iDC sont d'importants médiateurs de la réponse immunitaire en participant par exemple à la régulation du développement vasculaire (Barrientos et al.,
2009). Elles peuvent libérer des concentrations importantes de VEGF, et donc promouvoir et réguler l'angiogénèse (Barrientos et al., 2009). Elles produisent pour cela une large variété de médiateurs vasoactifs (VEGF-A, FGF2, ...) ainsi que des
chémokines (CXCL8, CCL2, ...). Mais elles peuvent aussi secréter des facteurs antiangiogéniques (comme l'IL-12), qui vont inhiber le processus de néovascularisation
(Barrientos et al., 2009).
Elles vont donc réguler la réponse angiogénique en sécrétant à la fois des molécules stimulantes et inhibitrices (Hanssens et al., 2012).
Enfin, les DC sont en contact étroit avec les cellules NK (cNK). Elles vont promouvoir la différentiation des cNK, et induire leur prolifération et leur cytotoxicité par la sécretion de cytokines (Leno-Durán et al., 2014). Elles jouent un rôle dans le recrutement, la prolifération et l'expression des récepteurs inhibiteurs à la surface des
cNK (Leno-Durán et al., 2014).
De plus, la différentiation et la prolifération des cellules stromales utérines sont fortement dépendantes des intéractions entre les cellules Natural Killer et les cellules
dendritiques (Leno-Durán and al., 2014). A noter le rôle de l'IL-15, qui est sécrété par les iDC pendant la décidualisation et l'implantation, et qui permet le recrutement des
dNK dans l'endomètre (Leno-Durán et al., 2014).
Les cellules dendritiques participent donc, sous leur forme immature, à la mise en place de la tolérance immunitaire, avec entre autres un rôle dans l'activation des cellules T régulatrices, dans l'angiogénèse, et dans la création d'un microenvironnement anti-inflammatoire à l'interface foeto-maternelle.
Autres acteurs : les cytokines et les chémokines
Ce sont des molécules multifonctionnelles, qui interviennent dans la migration, la différentiation, ou encore le traffic des leucocytes. La liaison avec leur récepteur joue un rôle dans quasiment toutes les intéractions cellulaires à l'interface foetomaternelle
(Du et al., 2014).
Les chémokines font parties de la superfamille des petites cytokines chémotactiques, et sont subdivisées en 4 sous-familles (les CXC, les CC, les CXC3 et les C). Leur fonction première est la stimulation directionnelle de l'adhésion et de la migration des cellules du système immunitaire. Elles sont exprimées, ainsi que leurs récepteurs, par une grande majorité de cellules à l'interface foeto-maternelle (trophoblastes, cellules déciduales stromales, endothéliales, immunitaires, ...). Elles ont pour rôle l'enrichissement de la décicua en cellule de l'immunité pendant la grossesse :
- le recrutement des cellules NK (expression de chémokines par les trophoblastes etles cellules déciduales qui vont se lier au récepteur se trouvant sur la surface des cellules NK),
- le recrutement des cellules présentatrices d'antigènes (macrophages et cellules dendritiques),
- le recrutement des cellules T et la stimulation de leur activité Th2 (immunosuppressive), afin d'assurer la mise en place d'un environnement protecteur.
Elles sont notamment sécrétées par les cellules immunitaires déciduales (promotion du développement placentaire, intéractions avec d'autres cellules de l'environnement, ...), participent au phénomène de placentation (différentiation et prolifération du cytotrophoblaste, recrutement des cellules immunitaires dans la décidua ...), ainsi qu'à l'angiogénèse (Du et al., 2014).
C'est donc une immunité innée transitoire qui se met en place en début de grossesse. Elle va permettre, en plus de son rôle protecteur contre les infections, d'instaurer un climat de tolérance à l'interface foeto-maternelle, nécessaire au bon développement de l'enfant à naître.